Dur d’écrire #3 Le démon de l’interruption

Ecrire une heure, rien que 60 min, sans s’interrompre.

Voilà le défi.

Même quand on n’a prévu que cela dans sa journée, pas d’enfants, pas ce jour-là de travail alimentaire, personne pour vous déranger… Même en résidence dans de bonnes conditions : écrire 60 minutes sans s’interrompre, c’est dur. C’est dur d’écrire, on l’a dit. Notamment à cause du démon de l’interruption.

Cerveau à six branches. Outil difficile à maîtriser.

A la base, on est motivé.e pourtant.

Je vais écrire. Je mets mon téléphone en mode avion, je me fais un thé et je m’y mets. Juste, la lumière est trop basse. La chaise trop haute. Mais je relève mes mails et je m’y mets. Ah, j’oubliais mes boules Quies. Ça y est, j’y suis ! J’ouvre le document, je relis ce que j’ai écrit hier. Je regarde où je dois reprendre. Bon, je commence. Une idée arrive… Une difficulté. Je règle ma chaise. Mon thé est froid. J’ai le plombier qui doit m’appeler, c’est mieux si je ne mets pas en mode avion finalement… Ok, je m’y remets. Un mail apparait sur ma messagerie… Je verrais plus tard. Huff, je regarde maintenant… Bon, je m’y remets. J’écris un peu. Je joue à Candy crush, je l’ai bien mérité. Bon, je m’y remets.

Etc.

Il y a plus de raisons de s’interrompre que de se concentrer. Il m’arrive de descendre loin dans les paramètres de mon Mac pour ne plus avoir la tentation de remettre le wifi en un clic. De mettre mon téléphone sous mon oreiller dans une autre pièce. S’interrompre, c’est facile. Ecrire de manière ininterrompue, c’est vraiment très dur. Sans doute plus aujourd’hui avec la téléphonie mobile et internet.

L’interruption est d’autant plus difficile à combattre qu’elle est érigée en valeur. A la télé, chaque interview est sous-titrée de bandeaux portant d’autres infos. Même sur France Culture, aucun invité ne peut parler plus de trois minutes sans qu’on le coupe avec une archive, une chronique, une musique censées soulager l’auditeur d’une écoute d’une longueur trop soutenue. Rien ne terrorise plus les producteurs de radio qu’un « tunnel » de dix minutes ininterrompues…

Alors, pour nos cerveaux hachés menus, une heure, deux heures, trois heures à écrire sans s’interrompre… Imaginez la difficulté !

Et pourtant, c’est seulement là que le plaisir d’écrire est possible : quand enfin je suis restée dans mon tunnel.

De même pour les lecteurs, rien n’est plus intense que de lire une heure sans s’interrompre. Et de se réveiller ensuite, comme sorti d’un rêve éveillé.

Mais j’arrête là. Il paraît que les formats de plus de 2000 signes sur internet ne sont jamais lus en entier.

Sophie Divry

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