Dur d’écrire #1 Il n’y a pas de plaisir d’écrire

Dans les rencontres, dans les salons, dans les interviews, une expression revient trop souvent : « le plaisir d’écrire ». Bien sûr, le travail de l’écrivain, ce n’est pas la mine, ce n’est pas les champs, et oui, dans tout travail qui est œuvre autant que peine, même sans céder à la pulsion masochiste, il est une part de plaisir – ou de joie.

N’empêche, comme tout travail : c’est difficile d’écrire, c’est pénible, c’est usant.

Faut que ça creuse…

Il y a l’alcoolisme et la cervicalgie, qui sont les deux maladies professionnelles les plus courantes, avec la dépression. Mais on a aussi ceux qui serrent les dents la nuit (ou les poings), celles qui ont envie de vomir en se mettant au travail, ceux qui ont des maux de crâne et des palpitations en attendant les remarques de l’éditeur… Sans parler de la charge mentale : la vie est tout de même plus simple sans se mettre en tête d’écrire un roman, qu’on n’ait même pas sûr de voir publier (cf dur d’écrire #2).

Pour être franc, on a plus de plaisir à avoir écrit qu’à écrire.

Déjà, il faut s’y mettre, alors que personne le plus souvent ne vous le demande. Ensuite il faut se concentrer, ne pas se disperser. Il ne faut pas se laisser détruire par son manque de confiance (« c’est nul ce que j’ai écrit hier ! »), puis il faut s’y remettre, reprendre dix fois une scène ou une phrase… Ensuite il faut relire, et relire, et relire, barrer, recommencer. Enfin, souvent, de se battre pour imposer son texte. Viendront encore les reprises, retouches, corrections : de nouvelles relectures, de nouveaux doutes.

En tant qu’auteur, je sais que je ne vais pas m’éclater chaque matin. J’écris d’abord pour me débarrasser d’histoires qui m’envahissent. Mais ce n’est pas du jubilatoire. Pas forcément du dépressif non plus. C’est la vie.

En tant que lecteur j’aimerais aussi qu’on arrête au plus tôt de vouloir me faire jouir à chaque phrase. Ça me fatigue.

Ce « plaisir d’écrire » qu’on est censé afficher n’est que le miroir du « plaisir de lire » des feel-good books, qui remiseront bientôt toute la littérature au rayon « développement personnel ». Que lire puisse être aussi difficile, il faut être capable de le dire. Si le roman contient la vie, il ne saurait oublier qu’elle a sa grandeur monotone, dans la suite languissante des jours. Gracq disait du roman qu’il offre des « capsules de lenteur ». Sans un certain ennui, l’art du roman est mort.

Aurélien Delsaux, Sophie Divry

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