[Critique] Fin de saison, de Thomas Vinau

La catastrophe est partout, ce n’est donc pas étonnant qu’elle se retrouve dans les fictions contemporaines. Le contraire serait inquiétant, si les romans étaient hermétiques à cette ambiance psychique collective de notre cataclysme. L’originalité avec Thomas Vinau, auteur de nombreux ouvrages de prose et de poésie comme de littérature jeunesse, c’est qu’il choisit ici le mode comique. Fin de saison se lit vite. Le style est décontracté, les phrases courtes et souvent privées de virgules, les chapitres brefs, le registre familier. L’auteur se dote de tout un arsenal de comparaisons très drôles, et d’un sens du récit très efficace. 

A peine a-t-on fait connaissance de Victor, un quinquagénaire alcoolique, que le lecteur se trouve enfermé avec lui, son chien et son lapin Cono dans sa cave. Dehors, « c’est la fin du monde ! Dehors c’est assourdissant. La planète se fait déchirer en deux, mâchouiller par la mort. C’est parsemé de hurlements atroces, d’éboulements, de fracas. Putain putain putain ! On va tous crever. On le savait en plus, dans le fond. Quel gâchis. Quel massacre. Quelle bande d’abrutis. Putain putain putain ! Si les jurons étaient des incantations je serai le pape ! Ça ne changerait rien. La mort aurait le même goût. Un goût de peur. Un goût de trop tard. Un goût de bien fait pour ta tronche. »

Une fois dans la cave, le récit ralentit mais ne perd jamais de son intérêt. Car derrière une fausse légèreté, Thomas Vinau parle de nous, petits Occidentaux habitués à des vies tissées de confort, de compromis et d’égoïsme, face à une Catastrophe bien trop grande pour nous.  « Je sais bien que je ne fais pas le poids. Regarde-toi, nom d’une bite en bois ! Tu parviens à être à la fois maigre et gras. (…) Tu bricoles comme un pingouin et t’as la mémoire d’un steak haché congelé. T’es prêt à tellement peu et préparé à tellement rien. Musclé et tordu comme un sac d’aspirateur. Tu serais incapable de protéger ta femme et tes gosses. » 

Thomas Vinau a le sens de la formule. Par exemple quand son héros liste ce qu’une civilisation pourrait s’épargner à l’avenir « le premier gourou qui se pointe en disant je sais, on l’empale sur la première enflure qui te propose de te dépanner pour pas grand-chose. » Ou quand le héros, après la mort de son chien, il écrit un poème sur les murs de sa cave « pour les générations de rats mutants du futur, ou pour les archéologues martiens. » 

Mais on croise aussi de très très belles pages, car dans ce récit, le héros apprend à passer du « je nous emmerde» de l’incipit au « je nous aime » final.  Et chaque paragraphe, sous ces airs gouailleurs, pose de manière resserrée des questions profondes : Que faire avec notre peur ? Que reste-t-il l’entraide quand tout s’effondre ? Qui sauverions-nous parmi nos proches en cas de fin du monde ?  Quel intérêt y-a-t-il à survivre si c’est pour se « relever debout, vainqueur, mais seul, désespérément seul, sur une montagne de cadavres ». Et quitte à détruire la planète, est-ce que l’humanité valait le coup, valait « infinitésimalement le coup » ?

Dans un roman, le héros peut être sauvé à la fin. C’est l’avantage de la fiction. Mais aller faire un tour dans une cave pousse à réfléchir. 

S. Divry

Fin de saison, Thomas Vinau,
Gallimard-Sygne, 2020 (192 pages, 16€)

Extrait :

Comment c’est là-haut ? Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce qu’il se passe quelque chose ? Est-ce que la terre se transforme en rouille pendant que les machines apprennent à pleurer pour nous? Est-ce que des renards blancs jouent dans la neige ? Est-ce que l’océan est rose ? Est-ce que deux femmes sont en train de s’entredévorer ? Est-ce qu’il reste un vieillard, aveugle, qui erre en demandant pardon ? Est-ce que des insectes sont sortis du fin fond des gouffres pour manger le ciel ? Est-ce que des enfants se battent nus dans la cendre contre des géants ? Est-ce que le vent quelque part caresse les pages d’un livre oublié sur un banc ? Est-ce que des liserons germent dans les cœurs en charognes ? Est-ce que tout recommence dans un grand trafic de sourires et de soupirs ? Est-ce que quelqu’un essaye de se souvenir d’une chanson ? Est-ce qu’un bateau prend le départ avec une hyène, une petite fille et une boîte de crayons ? Est-ce que la nuit couve ses œufs ? Est-ce qu’un bourreau pleure dans les bras d’un condamné ? Est-ce qu’il reste des fraises ? Des esclaves ? Des ombres ? Est-ce que le silence est brûlant ?

Fin de saison, p 103-104.

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